Ségolène Royal - La France doit renouer avec son prestige

Le Monde - 24/07/2011


On s'est étonné ici ou là de ma vision large du rassemblement à bâtir pour 2012. Socialiste, j'assume la volonté, pour permettre à notre pays de retrouver une ambition nationale, d'un rassemblement des partenaires de la gauche, mais aussi de tous ceux qui, attachés à « une certaine idée de la France » ne la reconnaissent plus, tellement sont affaiblis les repères républicains, en particulier l'égalité des possibles sans laquelle il n'y a plus d'espoir.

Le 12 avril 2007, en pleine campagne présidentielle, je recevais une magnifique lettre ouverte de soutien, de Jean-Marcel Jeanneney, dans laquelle il écrit notamment : « Je suis un très vieux monsieur, ministre du général de Gaulle à trois reprises (...), je n'ai jamais cru à la possibilité d'un gaullisme sans de Gaulle et je me suis très vite désolidarisé de ses prétendus héritiers. Cela dit - et sans vouloir vous écraser sous une telle référence en vous assimilant à cette très haute figure -, j'ai le goût de vous dire que je constate d'assez nombreuses analogies entre ses idées et les vôtres. »

« D'abord, poursuivait-il, le volontarisme politique, puis l'attachement à la nation, à son passé et à son avenir, comme fondement nécessaire aux solidarités entre les individus vivant sur son sol ; la prise en compte des aspirations populaires mais sans soumission systématique à l'opinion ; l'idée, que de Gaulle énonça dès mars 1968 dans un discours à Lyon, que les activités régionales sont les ressorts de la puissance économique de demain ; encore, le fait que la France, dans un monde menaçant, ne doit pas renoncer à une puissance militaire. »

« Entre vous et lui, écrivait toujours Jean-Marcel Jeanneney, il est encore un trait commun : quand on lui exposait un problème de façon abstraite, il vous interrompait : «Alors ! Pratiquement, que proposez-vous ?» Or, toujours, vous proposez ou esquissez une solution concrète. J'ajoute que vous rejoignez le général de Gaulle sur trois points, de grande importance. Le premier est la sobriété que vous voulez dans le comportement quotidien de la présidence de la République et du gouvernement. Le deuxième est le recours à l'article 11 de la Constitution, que vous devrez utiliser pour modifier celle-ci, en particulier concernant le Sénat. Le troisième est que, comme lui, vous vous appuyez sur un parti, ce qui est indispensable, mais que, comme lui, vous êtes d'un tempérament assez fort pour pouvoir, quand besoin est, vous en affranchir. »

La lettre disait encore : « Madame la Candidate, je vous souhaite de tout coeur bonne chance et vous assure de la grande considération que j'ai pour votre culture gouvernementale, pour votre intelligence, votre sensibilité et votre caractère. »

Voilà un homme qui n'était pas de mon bord politique, que je n'avais jamais rencontré, mais qui avait suivi tout ce que je disais et écrivais, et qui comprenait la sincérité qui m'animait et qui m'anime plus que jamais. Ce n'est pas un rassemblement d'appareil dont je parle mais c'est l'idée que 2012 est d'abord un combat républicain qui doit rendre aux Français le droit à l'espérance et la fierté de leur pays.

Aujourd'hui, toutes ces valeurs, rassemblées sous cette belle expression des Mémoires de guerre : « viser haut et se tenir droit », sont bafouées. Autre façon de le dire par François Mitterrand : « C'est dans les moments les plus difficiles que l'on doit faire preuve de la plus grande force morale. »

La preuve ? Le président de la République nous avait promis « la République irréprochable » et nous avons la collusion avec le pouvoir financier. Il nous avait promis « l'Etat impartial », nous avons un démantèlement de la protection sociale au profit des amis du pouvoir qui tiennent les assurances privées et autres fonds de pension. Il nous avait promis « un plan Marshall » pour donner du travail aux jeunes, et nous avons une situation explosive que dénoncent les maires de droite et de gauche, et à laquelle il faudra répondre de toute urgence.

Il avait promis aux classes moyennes, à la France qui travaille, d'accéder à la propriété. Rien n'est plus difficile aujourd'hui. C'est un déclassement que nous subissons, un glissement, qu'il faudra stopper pour tirer la France vers le haut. Il nous avait promis de la démocratie et nous avons un pouvoir solitaire et autocratique, où le président décide seul, ignore le peuple, croit qu'il est tout, et que le Parlement n'est rien. Nous ferons bien marcher la démocratie parlementaire, la démocratie sociale et la démocratie citoyenne et participative.
Il nous avait promis davantage d'impartialité, d'honnêteté, de responsabilité, de transparence, dans l'exercice du pouvoir. C'est tout le contraire qui a été fait. Il nous avait dit que « la France qui gagne perdrait tout si elle méprise la France qui ne se sent pas bien ». C'est exactement ce qui est en train de se passer. Sur le fronton de nos écoles et nos mairies notre devise est inscrite : « Liberté, Egalité, Fraternité », à laquelle j'ajoute la laïcité, la solidarité et la liberté d'entreprendre et de créer.

En 2012, la France doit renouer avec son histoire prestigieuse qui la faisait admirer dans le monde entier et vers laquelle se tournaient, pour s'en inspirer, tous les regards des peuples qui ont soif de bien-être et de liberté.

Constatant que la droite sarkozyste s'en est pris à l'héritage du Conseil national de la Résistance (CNR), notamment la Sécurité sociale, consciente des difficultés graves auxquelles nous sommes confrontés : une Europe affaiblie, une France désenchantée et épuisée, des inégalités explosives, une faillite morale sans précédent, je considère que l'oeuvre à réaliser exigera la même force et le même courage que celles du CNR, où la France a trouvé en elle-même plus de ressources qu'elle ne croyait en posséder dans les moments les plus difficiles de notre histoire.

Ségolène Royal